Mi-avril, la Chambre nationale de métiers de Côte d'Ivoire (Cnmci), en partenariat avec les boulangeries Yéli Group, ont organisé le premier concours de sélection du participant ivoirien à la coupe du monde du pain, prévue en 2015, en France. La boulangerie Des pains et du gâteau, vainqueur de l'épreuve, qui a eu lieu dans la zone portuaire de Treichville, représentera le pays. Un spécialiste français de la boulangerie„ Jean-Claude Folquet, avait même été dépêché pour superviser la compétition.
A travers cette participation, les acteurs de la filière affichent
leur volonté de dynamiser ce secteur longtemps sinistré par
l’inorganisation, des tensions et des produits de mauvaise qualité. Les
boulangers tendent de relever une filière qui est à la traîne, après sa
dernière réforme, il y a 18 ans aujourd’hui.
Le secteur va malLa réforme du secteur de la
boulangerie a entraîné sa libéralisation, en 1996. Ainsi, de nombreux
acteurs ont pensé que ce grand pas marquerait son retour sur la scène
nationale et internationale. Mieux, qu'il prendrait un véritable envol
pour se hisser à un meilleur niveau. Mais 18 ans après, cet espoir
semble s'être envolé, vu les nombreuses difficultés rencontrées dans un
pays où il existe au moins une boulangerie dans chaque ville et
commune.« Notre boulangerie va mal », déclare Ali Jean-Baptiste, président de l'Union des patrons boulangers de Côte d'Ivoire qui tire la sonnette d'alarme. «Nos véritables problèmes ont commencé depuisi996, juste après la libéralisation du secteur, sans mesures d'accompagnement», explique l'un des doyens de ce secteur d'activité en Côte d'Ivoire, totalisant 37 ans d'activité. Selon lui, les boulangeries ivoiriennes sont confrontées à des problèmes d'organisation et à la multiplicité des d'opérateurs. En outre, plusieurs établissements bancaires exigent de solides garanties pour bénéficier de prêts. Conséquence, l'insalubrité, la concurrence déloyale par endroits, de nombreux invendus et les entreprises qui tournent au ralenti.
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SanctionsLe 12mai dernier, le préfet de Divo, Kpan Droh Joseph, au cours d'une réunion, a menacé de fermer les 10 boulangeries de la localité (Fraternité Matin du 13 mai 2014). La raison ? Aucune d'elle ne respecte les normes. Pis, elles exercent dans des conditions hygiéniques déplorables.
Du 5 au 10 août, la Fédération des associations de consommateurs actifs de Côte d'Ivoire (Faca-CI) a fait diligenter une enquête publiée huit jours plus tard. Les conclusions sont effrayantes. Morceaux de lames, de tissus, des ongles et des cheveux se retrouvaient dans des pains. Et des toilettes sont bien souvent contiguës aux sites de fabrication du pain. «Des boulangeries et certaines pâtisseries, bien que disposant d'un certificat de salubrité délivré par l'Institut national d'hygiène publique (Inhp), baignent dans l'insalubrité. (...) Et fonctionnent en violation des règles d'hygiène minimales », a révélé le président de la Faca-CI, Marius Comoé. Il explique qu'en présence des enquêteurs, des ouvriers sortis des toilettes, sans se laver les mains, sont allés malaxer la farine. « Cette situation ne peut perdurer », prévient-il dans les colonnes d'un quotidien.
Des boulangeries continuent de produire du pain à l'aide de bois de chauffe. Derrière les beaux panneaux d'affichage, les magnifiques baies vitrées, le décor est tout autre à l'intérieur. Murs noircis par l'effet de la fumée, bois et farine se discutent les allées. Par ailleurs, les travailleurs exercent sans la moindre précaution. « Nous savons que des boulangeries cuisent le pain à l'aide de bois de chauffe et ouvert clans des conditions peu hygiéniques. Où pouvons-nous aller encore pour acheter du pain ? », S’interroge Claudia Kouassi, au sortir d'une boulangerie. A côté de cette situation se dresse le problème de la distribution. « Nous sommes otages des livreurs. Ils nous imposent des quotas que nous sommes obligés de respecter. Auquel cas, nous ne pouvons vendre dans les conditions idoines nos produits »,se plaint Ali .Jean-Baptiste.
TensionsLa concurrence déloyale, l'inobservation des règlements sont quotidiennes. Certains boulangers, en complicité avec des livreurs, vendent le pain dans des zones qui ne sont pas les leurs. Ce qui crée, bien souvent, des tensions. C'est le cas à Niangon-Coprim, où, l'an dernier, un livreur avait été pris à partie. Par des boulangers qui l'accusaient d'avoir "braconné" leur zone. En plus, il lui était reproché de vendre le pain à 100 F cfa au lieu de 150 qui est le prix homologué.
Entre février et juin 2014, des boulangeries d'Abidjan, en complicité avec des livreurs, venaient déverser, discrètement et très tôt le matin, à Bonoua, Yaou et Samo, deux villages environnants, d'énormes quantités de pain sur le marché, affirme Essoh Gnagne Mathurin, un livreur basé à Bonoua. L'homme explique que ce sont des produits que des individus prenaient entre 8o et 90 F cfa, la baguette et qu'ils cèdent à 125 F cfa. « Ces livreurs clandestins » se font un bénéfice qui oscille entre 35 et 45 F cfa sur une baguette de pain.
« C'est une pratique qui, pendant longtemps, nous a ruinés. Durant cette période, nous avons presque perdu nos clients et nos gains.Puisqu'avant notre arrivée, les clients étaient déjà servis. Les patrons de boulangeries de la ville ont dû organiser la riposte pour protéger leur business en augmentant nos gains. Quant à nous, nous allons livrer très tôt le pain », explique-t-il.
Pourtant, il y a 3o ans environ, l'Etat ivoirien a ouvert à Yamoussoukro une école d'excellence en boulangerie et pâtisserie. Objectif, former des professionnels de haut niveau afin d'avoir un secteur performant. Pour montrer son intérêt, le Président de la République, Félix Houphouët-Boigny, avait personnellement effectué le déplacement à l'inauguration. Aujourd'hui, l'école n'est plus que l'ombre d'elle-même.
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Pain au régime minceur...La baguette de pain devrait peser 228 grammes, elle doit être volumineuse avec une mie renforcée et coûter 150 F cfa, comme recommandé. «Ce pain, nous ne pouvons plus le faire. Actuellement, chacun propose sa masse»,révèle le président de l'Union des patrons boulangers de Côte d'Ivoire. Il soutient que tous les éléments intervenant dans la chaîne de fabrication du pain, notamment la levure, l'améliorant, le gaz, le gas-oil, l'eau, l'électricité, etc., ont connu des hausses de prix. Selon lui, le prix réel du pain devrait être fixé aujourd'hui à 250 F cfa. Si le montant de 150 F cfa est toujours maintenu, c'est parce que, dit-il, les patrons de boulangerie « ne veulent mettre personne à la rue au risque de grossir le rang des chômeurs ».
Franck Kouassi, boulanger dans le quartier de Koumassi Sicogi, explique que la boulangerie dans laquelle il travaille produit et vend entre 1750 et2000baguettes de pains quotidiennement. Ce qui revient à environ cinq sacs de farine de blé. Il y a 34 ans, le sac de farine ne coûtait que 3000 F cfa. Aujourd'hui, le prix moyen est de 17.500 F cfa. Ali Jean-Baptiste affirme qu'il pouvait produire et écouler à cette période et, ce jusqu'à 1999, entre cinq et 10 mille baguettes de pains par jour. « Pendant cette période, je pouvais produire entre 5000 et 10 mille baguettes de pains par jour. Ce n'est que trois ans après la réforme de 1996 que les affaires ont commencé à couler », se rappelle Ali Jean-Baptiste.
Une nouvelle race de boulangeriesMalgré les soucis rencontrés, les arguments sont nombreux pour séduire notamment par des stratégies marketing : architectures nouvelles, souvent futuristes, fours modernes. Pâtisserie, viennoiserie, glacier avec des terrasses - pour consommer sur place. Des produits protégés, à l'abri de la poussière, de jeunes caissières superbement vêtues. Ce sont, entre autres, les caractéristiques de cette nouvelle génération de boulangeries: Même les livreurs ont innové. A pied, puis à vélo, certains utilisent même des mobylettes pour être très tôt au rendez-vous matinal, entre 6h 30 et 7h30. Avec du pain en provenance de boulangeries lointaines. Pain de Paco, de Sococé pain de pâtisserie par opposition au pain issu d'un four à bois.
Visibles dans presque toutes les communes de la capitale économiques. Abobo, Cocody, Yopougon, (Treichville, Adjamé, Marcoiy...) ces établissements tissent progressivement leur toile pour mailler la ville. Cette démarche marque une rupture avec les boulangeries traditionnelles où tout se réalise de façon artisanale. Cependant, ces initiatives ont un coût. Selon Ali Jean-Baptiste, pour monter une boulangerie moderne, avec toutes les commodités, l'opération nécessite au moins 50 millions de F cfa. Malgré les difficultés, Ali Jean-Baptiste croit toujours au réveil du secteur de la boulangerie. Et surtout, à une belle participation des représentants ivoiriens à la prochaine coupe du monde du pain, dans l'Hexagone, en 2015.
Fraternité Matin/ ANOH KOUAO
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