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jeudi 28 août 2014

Les boulangers broient du noir

La boulangerie en Côte d’Ivoire attend un nouveau souffle pour décoller.
Mi-avril, la Chambre nationale de métiers de Côte d'Ivoire (Cnmci), en parte­nariat avec les bou­langeries Yéli Group, ont organisé le premier concours de sélection du participant ivoi­rien à la coupe du monde du pain, prévue en 2015, en France. La boulangerie Des pains et du gâteau, vainqueur de l'épreuve, qui a eu lieu dans la zone portuaire de Treichville, représentera le pays. Un spé­cialiste français de la boulange­rie„ Jean-Claude Folquet, avait même été dépêché pour superviser la compétition.
A travers cette participation, les acteurs de la filière affichent leur volonté de dynamiser ce secteur longtemps sinistré par l’inorganisation, des tensions et des produits de mauvaise qualité. Les boulangers tendent de relever une filière qui est à la traîne, après sa dernière réforme, il y a 18 ans aujourd’hui.
Le secteur va malLa réforme du secteur de la boulangerie a entraîné sa libé­ralisation, en 1996. Ainsi, de nombreux acteurs ont pensé que ce grand pas marquerait son retour sur la scène natio­nale et internationale. Mieux, qu'il prendrait un véritable envol pour se hisser à un meil­leur niveau. Mais 18 ans après, cet espoir semble s'être envolé, vu les nombreuses difficultés rencontrées dans un pays où il existe au moins une boulange­rie dans chaque ville et com­mune.
« Notre boulangerie va mal », déclare Ali Jean-Baptiste, pré­sident de l'Union des patrons boulangers de Côte d'Ivoire qui tire la sonnette d'alarme. «Nos véritables problèmes ont com­mencé depuisi996, juste après la libéralisation du secteur, sans mesures d'accompagne­ment», explique l'un des doyens de ce secteur d'activité en Côte d'Ivoire, totalisant 37 ans d'activité. Selon lui, les boulangeries ivoiriennes sont confrontées à des problèmes d'organisation et à la multipli­cité des d'opérateurs. En outre, plusieurs établissements ban­caires exigent de solides garan­ties pour bénéficier de prêts. Conséquence, l'insalubrité, la concurrence déloyale par en­droits, de nombreux invendus et les entreprises qui tournent au ralenti.
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SanctionsLe 12mai dernier, le préfet de Divo, Kpan Droh Joseph, au cours d'une réunion, a menacé de fermer les 10 boulangeries de la localité (Fraternité Matin du 13 mai 2014). La raison ? Aucune d'elle ne respecte les normes. Pis, elles exercent dans des conditions hygiéniques dé­plorables.
Du 5 au 10 août, la Fédération des associations de consomma­teurs actifs de Côte d'Ivoire (Faca-CI) a fait diligenter une enquête publiée huit jours plus tard. Les conclusions sont ef­frayantes. Morceaux de lames, de tissus, des ongles et des che­veux se retrouvaient dans des pains. Et des toilettes sont bien souvent contiguës aux sites de fabrication du pain. «Des bou­langeries et certaines pâtisse­ries, bien que disposant d'un certificat de salubrité délivré par l'Institut national d'hy­giène publique (Inhp), bai­gnent dans l'insalubrité. (...) Et fonctionnent en violation des règles d'hygiène mini­males », a révélé le président de la Faca-CI, Marius Comoé. Il explique qu'en présence des enquêteurs, des ouvriers sortis des toilettes, sans se laver les mains, sont allés malaxer la fa­rine. « Cette situation ne peut perdurer », prévient-il dans les colonnes d'un quotidien.
Des boulangeries continuent de produire du pain à l'aide de bois de chauffe. Derrière les beaux panneaux d'affichage, les magnifiques baies vitrées, le décor est tout autre à l'inté­rieur. Murs noircis par l'effet de la fumée, bois et farine se dis­cutent les allées. Par ailleurs, les travailleurs exercent sans la moindre précaution. « Nous savons que des boulangeries cuisent le pain à l'aide de bois de chauffe et ouvert clans des conditions peu hygiéniques. Où pouvons-nous aller encore pour acheter du pain ? », S’in­terroge Claudia Kouassi, au sortir d'une boulangerie. A côté de cette situation se dresse le problème de la distribution. « Nous sommes otages des li­vreurs. Ils nous imposent des quotas que nous sommes obli­gés de respecter. Auquel cas, nous ne pouvons vendre dans les conditions idoines nos pro­duits »,se plaint Ali .Jean-Bap­tiste.
TensionsLa concurrence déloyale, l'inobservation des règlements sont quotidiennes. Certains boulangers, en complicité avec des livreurs, vendent le pain dans des zones qui ne sont pas les leurs. Ce qui crée, bien sou­vent, des tensions. C'est le cas à Niangon-Coprim, où, l'an der­nier, un livreur avait été pris à partie. Par des boulangers qui l'accusaient d'avoir "braconné" leur zone. En plus, il lui était re­proché de vendre le pain à 100 F cfa au lieu de 150 qui est le prix homologué.
Entre février et juin 2014, des boulangeries d'Abidjan, en complicité avec des livreurs, ve­naient déverser, discrètement et très tôt le matin, à Bonoua, Yaou et Samo, deux villages en­vironnants, d'énormes quanti­tés de pain sur le marché, affirme Essoh Gnagne Mathu­rin, un livreur basé à Bonoua. L'homme explique que ce sont des produits que des individus prenaient entre 8o et 90 F cfa, la baguette et qu'ils cèdent à 125 F cfa. « Ces livreurs clan­destins » se font un bénéfice qui oscille entre 35 et 45 F cfa sur une baguette de pain.
« C'est une pratique qui, pen­dant longtemps, nous a rui­nés. Durant cette période, nous avons presque perdu nos clients et nos gains.Puisqu'avant notre arrivée, les clients étaient déjà servis. Les patrons de boulangeries de la ville ont dû organiser la ri­poste pour protéger leur busi­ness en augmentant nos gains. Quant à nous, nous allons li­vrer très tôt le pain », explique-t-il.
Pourtant, il y a 3o ans environ, l'Etat ivoirien a ouvert à Ya­moussoukro une école d'excel­lence en boulangerie et pâtisserie. Objectif, former des professionnels de haut niveau afin d'avoir un secteur perfor­mant. Pour montrer son inté­rêt, le Président de la République, Félix Houphouët-Boigny, avait personnellement effectué le déplacement à l'inauguration. Aujourd'hui, l'école n'est plus que l'ombre d'elle-même.
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Pain au régime minceur...La baguette de pain devrait peser 228 grammes, elle doit être volumineuse avec une mie renforcée et coûter 150 F cfa, comme recommandé. «Ce pain, nous ne pouvons plus le faire. Actuellement, chacun propose sa masse»,révèle le président de l'Union des pa­trons boulangers de Côte d'Ivoire. Il soutient que tous les éléments intervenant dans la chaîne de fabrication du pain, notamment la levure, l'amélio­rant, le gaz, le gas-oil, l'eau, l'électricité, etc., ont connu des hausses de prix. Selon lui, le prix réel du pain devrait être fixé aujourd'hui à 250 F cfa. Si le montant de 150 F cfa est tou­jours maintenu, c'est parce que, dit-il, les patrons de boulange­rie « ne veulent mettre per­sonne à la rue au risque de grossir le rang des chô­meurs ».
Franck Kouassi, boulanger dans le quartier de Koumassi­ Sicogi, explique que la boulan­gerie dans laquelle il travaille produit et vend entre 1750 et2000baguettes de pains quotidiennement. Ce qui revient à environ cinq sacs de farine de blé. Il y a 34 ans, le sac de farine ne coûtait que 3000 F cfa. Au­jourd'hui, le prix moyen est de 17.500 F cfa. Ali Jean-Baptiste affirme qu'il pouvait produire et écouler à cette période et, ce jusqu'à 1999, entre cinq et 10 mille baguettes de pains par jour. « Pendant cette période, je pouvais produire entre 5000 et 10 mille baguettes de pains par jour. Ce n'est que trois ans après la réforme de 1996 que les affaires ont commencé à couler », se rappelle Ali Jean-Baptiste.
Une nouvelle race de boulangeriesMalgré les soucis rencontrés, les arguments sont nombreux pour séduire notamment par des stratégies marketing : ar­chitectures nouvelles, souvent futuristes, fours modernes. Pâ­tisserie, viennoiserie, glacier avec des terrasses - pour consommer sur place. Des pro­duits protégés, à l'abri de la poussière, de jeunes cais­sières superbement vêtues. Ce sont, entre autres, les caracté­ristiques de cette nouvelle gé­nération de boulangeries: Même les livreurs ont innové. A pied, puis à vélo, certains uti­lisent même des mobylettes pour être très tôt au rendez-vous matinal, entre 6h 30 et 7h30. Avec du pain en provenance de boulangeries loin­taines. Pain de Paco, de Sococé pain de pâtisserie par opposi­tion au pain issu d'un four à bois.
Visibles dans presque toutes les communes de la capitale économiques. Abobo, Cocody, Yopougon, (Treichville, Ad­jamé, Marcoiy...) ces établisse­ments tissent progressivement leur toile pour mailler la ville. Cette démarche marque une rupture avec les boulangeries traditionnelles où tout se réa­lise de façon artisanale. Cepen­dant, ces initiatives ont un coût. Selon Ali Jean-Baptiste, pour monter une boulangerie moderne, avec toutes les com­modités, l'opération nécessite au moins 50 millions de F cfa. Malgré les difficultés, Ali Jean-Baptiste croit toujours au réveil du secteur de la boulangerie. Et surtout, à une belle participa­tion des représentants ivoi­riens à la prochaine coupe du monde du pain, dans l'Hexa­gone, en 2015.

Fraternité Matin/ ANOH KOUAO


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