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Centre d'isolement |
Au
Liberia, des décennies de corruption, une méfiance envers les
gouvernements profondément ancrée et la médiocrité des services publics
ont accéléré la propagation du virus Ebola. Selon les groupes de la
société civile et les analystes, des efforts bien plus grands doivent
être fournis pour combler le manque de communication entre le
gouvernement et les citoyens.
Les
30 août, les autorités ont levé la mise en quarantaine d'un quartier de
West Point, à Monrovia. La mise en place d'un cordon autour du
bidonville par la police il y a une dizaine de jours avait alimenté les
frustrations et déclenché des émeutes au cours desquelles un garçon de
15 ans a été tué.
Après
le retrait du cordon, les habitants de West Point ont manifesté dans
les rues de Monrovia en chantant, en anglais libérien, « West Point no
Ebola! West Point come let go! » (Pas d'Ebola a West Point ! West Point
libéré !)
«
Je suis heureux d'être libre », a dit à IRIN Boakai Passawe, un
habitant de West Point ouvrier en bâtiment qui n'a pas pu travailler
pendant la période de quarantaine. « Mais les gens ne vont pas oublier
ce qui s'est passé. J'ai l'impression qu'on m'a volé mon travail, ma
vie. Quand vous avez un enfant à charge, vous ne le laissez pas tomber
», a-t-il dit en faisant référence à la manière dont le gouvernement a
géré cette mise en quarantaine.
Le
Liberia a peut-être une réputation de modèle en apparence, mais depuis
des années, une fièvre de mécontentement couve en silence. Selon les
groupes de la société civile, l'épidémie d'Ebola l'a révélée au grand
jour et a mis en évidence l'incapacité du gouvernement à faire face à la
situation.
«
C'est une crise de gouvernance autant qu'une crise d'Ebola », a dit à
IRIN Blair Glencorse, directeur général de l'Accountability Lab, une
organisation qui aide les citoyens à s'armer d'outils créatifs pour
favoriser l'intégrité et la redevabilité dans leur communauté.
«
Les systèmes manquent de capacité et de redevabilité ; pas seulement
les systèmes de santé, mais aussi la gestion financière, l'éducation et
tous les systèmes qui permettent à l'État de gérer les crises », a-t-il
dit. « Donc lorsqu'il y a une urgence comme celle-ci, on voit rapidement
que le gouvernement ne bénéficie pas de la confiance de sa population
et qu'il n'a pas la capacité ni les outils nécessaires pour gérer une
telle épidémie. »
Le
26 août, le ministère de la Santé libérien avait enregistré 1 471 cas
d'Ebola et 834 morts, soit plus qu'en Sierra Leone ou en Guinée. Ces
pays ont tous trois un système de santé fragile, mais au Liberia, la
mauvaise gestion, l'exclusion et des stratégies de communication
laissant à désirer alimentent depuis longtemps un mécontentement chez
les Libériens dont l'administration de la présidente Ellen Johnson
Sirleaf, au pouvoir depuis 2005, n'a pas réussi à se débarrasser.
«
Faire face à une épidémie d'Ebola serait difficile pour n'importe quel
pays, mais la férocité avec laquelle Ebola a frappé le Liberia a été
intensifiée par plusieurs facteurs, notamment un mauvais réseau de santé
[...] et la nature transfrontalière des rapports sociaux », a dit à
IRIN Corrine Dufka, directrice adjointe de Human Rights Watch (HRW) en
Afrique de l'Ouest.
Des
progrès ont cependant été faits, a dit Mme Dufka. « [Mme Johnson]
Sirleaf et son gouvernement ont hérité d'un pays avec une
infrastructure, une économie et des institutions profondément dévastées
et ils ont fait des progrès considérables sur plusieurs fronts. »
«
Ceci étant dit, le gouvernement et ses partenaires n'ont pas été très
rapides à chercher une solution contre un facteur essentiel de
l'expérience du Liberia, à savoir la corruption endémique », a ajouté
Mme Dufka. « L'attention rhétorique considérable apportée par le
gouvernement à ce fléau ne s'est pas accompagnée de mesures
anti-corruption agressives et suffisamment financées ni d'un soutien au
pouvoir judiciaire, ce qui signifie que les mêmes schémas de
détournement et de corruption ont pu se maintenir ».
Dans ce contexte, de nombreux
Libériens ont mis du temps à croire aux messages du ministère de la
Santé sur la nature de l'épidémie d'Ebola et la façon dont la maladie se
propage. De nombreuses personnes craignaient qu'Ebola soit un canular.
D'autres colportaient des rumeurs selon lesquelles le virus serait un
stratagème pour obtenir des financements des bailleurs de fonds
internationaux.
« Mensonge, mauvaise gestion et désinformation »
«
Les gens ont davantage confiance entre eux qu'envers le gouvernement »,
a dit à IRIN Saki Golafale, un étudiant libérien. « Pendant longtemps,
les gens se sont fait une idée du gouvernement. Ils ont l'impression que
le mensonge, la mauvaise gestion et la désinformation règnent. Les
gouvernements passés et présent ne se sont pas positionnés assez
fermement pour changer la mauvaise opinion que les citoyens se sont
faite d'eux », a-t-il dit.
Certains
médias internationaux ont dépeint les Libériens comme des colporteurs
de rumeurs peu instruits ou ignorants. Mais selon Susan Shepler,
professeure associée à l'American University et spécialiste de
l'éducation et des conflits en Sierra Leone et au Liberia, il est facile
de comprendre pourquoi de nombreux Libériens ont tendance à mettre en
doute les informations provenant du gouvernement.
«
Les gens n'agissent pas par ignorance, ils se basent sur leur
expérience », a-t-elle dit à IRIN. « Au Liberia, les gens ont toujours
écouté les informations et les rumeurs qui circulent au sein de la
communauté pour s'informer lorsqu'ils ne sont pas sûrs de pouvoir croire
le gouvernement », a-t-elle expliqué.
«
L'information était vitale pendant le conflit au Liberia, mais les
sources officielles étaient souvent si peu fiables que les habitants se
basaient plutôt sur les réseaux informels », a ajouté Mme Shepler. «
Parfois, les médias et les autorités disaient une chose et les rumeurs
en disaient une autre et il s'avérait que les rumeurs étaient vraies. »
Alors que la crise d'Ebola
s'intensifie en Afrique de l'Ouest, l'administration de Mme Johnson
Sirleaf doit maintenant réparer cette fracture de l'information héritée
des expériences passées.
Selon
les observateurs, il est vital d'établir des voies de communication
plus solides. Cependant, d'après Russell Geekie, chef de l'information
pour la mission des Nations Unies au Liberia (UNMIL), la nature d'Ebola
rend difficiles de nombreux modes de communication.
«
[L'UNMIL] a fait appel à ses nombreuses capacités d'information
publique pour soutenir la réponse du gouvernement et ses efforts de
prévention », a-t-il dit. « Mais nous ne pouvons pas organiser des
matchs de football ou d'autres évènements qui attirent la foule. Les
vidéoclubs ont été presque désertés. C'est pourquoi la radio est si
essentielle. Notre station diffuse régulièrement des interviews de
fonctionnaires des Nations Unies, de ministres et de travailleurs de la
santé sur le terrain pour dissiper les rumeurs et expliquer des mesures
telles que les mises en quarantaines de certaines communautés. »
Le rôle clé des groupes de jeunes
En outre, à Monrovia, des groupes de jeunes se créent pour diffuser des informations exactes sur la propagation d'Ebola.
Pandora
Hodge est la coordinatrice nationale de Kriterion, un cinéma d'art et
d'essai indépendant géré par un groupe d'étudiants qui appelle à mieux
informer la population au sujet d'Ebola. Ses membres font du
porte-à-porte dans les communautés de Monrovia comme Sinkor, Clara Town
et Bensonville, en distribuant du matériel et des informations qui, ils
l'espèrent, donneront à la population les capacités pour enrayer la
progression du virus.
«
Les gens croient nos membres lorsqu'ils leur disent qu'ils sont
étudiants et qu'ils ne sont pas payés pour ce travail », a dit Mme Hodge
à IRIN. « Les étudiants bénévoles frappent à toutes les portes et
expliquent aux gens qu'ils font cela parce que les écoles et les
universités sont fermées et qu'ils veulent aider, pas se faire de
l'argent. Alors les gens commencent à écouter », a-t-elle dit.
«
Le problème, c'est que les gens ont cru que le virus était une blague.
Alors ça se passe sous leurs yeux et ils ne peuvent rien y faire »,
a-t-elle ajouté. « Ils se méfient du gouvernement, mais ils ont
confiance en nous, alors nous leur expliquons que s'ils font tout ce
qu'il faut pour éviter le virus, ils ne seront pas obligés d'aller à
l'hôpital. »
Pendant très longtemps, au Liberia, de
nombreux jeunes ont dit qu'ils se sentaient exclus et qu'ils n'avaient
pas l'impression d'avoir leur place au sein du système.
Lors
des élections présidentielles qui ont accordé à Mme Johnson Sirleaf un
second mandat, le sentiment d'exclusion était très répandu, notamment
chez les jeunes sympathisants du parti d'opposition, qui se sont
affrontés aux forces de police dans des émeutes qui ont fait plusieurs
morts.
Le
gouvernement s'est engagé à prendre des mesures pour aider les jeunes,
mais nombreux sont ceux qui estiment que peu a été fait en la matière. «
Les jeunes contre tous, tel est le vrai clivage politique au Liberia »,
a dit Mme Shepler.
Titus
Davis, directeur de l'organisation non gouvernementale Equipping
Leaders International, mène un programme qui envoie de jeunes diplômés
et des pasteurs dans les communautés pour combler le déficit
d'information.
«
Nos diplômés et nos pasteurs aident les gens qui sont frustrés et
désespérés », a-t-il dit. « Lorsque nous nous rendons dans les
communautés, les gens ont confiance en nos équipes, car nous sommes des
pasteurs et des enseignants et nous portons des messages de paix, pas
seulement d'éducation à la santé. L'action sociale peut vraiment aider. »
Selon M. Glencorse, d'Accountability
Lab, l'épidémie d'Ebola permet aux jeunes d'introduire un changement
positif et de bâtir les fondations d'une société civile plus puissante.
«
Le gouvernement ne peut pas tout faire et cela est devenu évident
pendant cette épidémie », a-t-il dit. « Mais la crise pourrait permettre
à certains groupes de jeunes de servir leur communauté et d'instaurer
la confiance qui fait encore défaut. »
Une
plus grande collaboration entre le gouvernement, les partenaires
internationaux et les groupes de jeunes et de la société civile pour
lutter contre l'épidémie pourrait aider à rétablir cette confiance
érodée et à combattre le sentiment d'exclusion sociale ressenti par de
nombreux Libériens depuis des décennies.
Selon
Mme Dufka, de HRW, malgré les faiblesses structurelles et le manque de
capacités, le gouvernement a maintenant l'occasion de renouer avec ses
citoyens.
«
Le gouvernement et, surtout, le pouvoir législatif libérien devraient
profiter de l'épidémie d'Ebola pour faire des progrès en matière de
gouvernance en améliorant la communication, en assurant une utilisation
transparente des fonds et en acceptant une politique de tolérance zéro
en ce qui concerne les abus des forces de sécurité. »
© IRIN.
© IRIN.
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