Tiburce Koffi, écrivain, dramaturge et journaliste ivoirien.
« L’amour est un grand pleur » porte à 3 votre production en tant que nouvelliste. Doit-on conclure que la nouvelle est votre genre de prédilection ?
Je ne le pense pas. Je me réclame plutôt du théâtre, de la poésie et de l’essai qui déterminent mieux que tout autre genre, mon rapport aux lettres. L’essentiel de mon activité et de ma production intellectuelle tourne autour de ces trois genres. Ma posture actuelle en récit, notamment la nouvelle, fut une recommandation de mon maître Bernard Zadi qui m’a déconseillé de frapper à la porte des éditeurs avec la poésie et le théâtre, si je tenais à me faire un chemin en littérature. Et ceci, pour des raisons que vous savez, sans doute : ce ne sont pas des genres populaires, donc ils ne sont pas rentables. Zadi m’a donc conseillé de commencer par de courts récits afin d’intéresser les éditeurs et les lecteurs. C’est après cela que, selon ses conseils, je devais commencer à faire publier mes recueils de poèmes et mes pièces de théâtre. J’en compte au moins une dizaine qui ont, presque toutes, subi l’épreuve de la scène. Mais j’avoue que j’ai, depuis, pris goût à la nouvelle. J’en écris considérablement. Mon quatrième recueil de nouvelles est d’ailleurs bouclé. Mais je n’éprouve pas le besoin de le faire publier maintenant. J’ai des projets artistiques plus urgents et plus importants.
La fin que vous proposez pour la nouvelle « La grande correction », semble fonctionner comme un reproche à Aline Ka d’accorder trop d’importance au corps, à son intimité féminine notamment que vous exposez en déchéance. Que doit-on retenir ?
Non, mon héroïne ne fonctionne pas comme cela. C’est plutôt sa rivale, l’épouse de Georges Elogne son plus qu’amant, qui peut être suspectée d’être obsédée par les qualités plastiques d’une femme. En fait, quand elle découvre la nudité d’Aline Ka à l’issue de violence qu’elle a exercée sur cette dernière, elle se rend compte que cette rivale, maîtresse de son mari, et qu’elle redoutait tant car elle était la source des infortunes conjugales que vivait son foyer, eh bien, elle se rend compte que finalement, cette fameuse Aline Ka n’est qu’une femme comme toutes les autres. C’est le sens de ses paroles à la fin de la scène de la bastonnade qu’elle a administrée à Aline qu’elle a mise à poils : « C’est pour ça là que tu te laisses mourir ? Tu m’entendras ce soir, Georges ! » Une manière de dire que cette Aline n’a, au physique, rien de particulier qui puisse justifier que Georges se soit entiché
pour elle jusqu’à un point suicidaire.
Croyez-vous les femmes, ici l’épouse et la maîtresse de Georges, capables d’aborder avec autant de patience, un sujet qui fâche ?
Bien sûr. Ce sont, en réalité, des choses plus courantes que vous ne le croyez. Les rivaux et les rivales distingués sont capables de discuter froidement entre eux de l’objet de leurs convoitises réciproques. Mais j’avoue que ce sont des choses qui demandent un niveau d’éducation et de compréhension élevé des relations amoureuses et des choses de la vie.
La nouvelle « Pozo » porte en second titre « la piste du souvenir » ; c’est la suite de « Pozo là-bas » publiée en 2005 dans « L’embarras de Dieu ». Dans ce second volet, vous tuez le personnage d’Ademola. Pourquoi ?
Ce n’est pas de gaîté de cœur que je l’ai fait. De nombreux lecteurs ivoiriens ont été mécontents pour le fait que, dans ce récit, j’aie amené l’héroïne Marie-Josèph Kassy, une jolie ivoirienne, institutrice de son état affectée dans un village sans électricité, à coucher avec le personnage d’Ademola. Ce dernier est un vilain et sale commerçant d’origine étrangère. Ils ont trouvé que la scène de ces échanges charnels que je pense avoir superbement décrits, était inacceptable, à la limite anti patriotique ! Précisons que le texte a été publié en 2005, en pleine période de délire patriotique en Côte d’Ivoire. Et de nombreux lecteurs m’ont supplié de réparer cette ‘‘injustice’’. J’en avais ri, au départ ; puis, après, j’ai fini par réaliser que cela avait choqué plus de lecteurs que je ne le croyais. Pour apaiser le mécontentement de mon lectorat, j’ai donc fait la promesse d’écrire la
suite de cette histoire. Voilà comment j’en suis arrivé à tuer Ademola dans ce second épisode de Pozo.
Alors vous présentez Ademola comme un imposteur affectif, un intrus amoureux. Ne paye-t-il pas finalement pour son statut d’étranger aux lois de l’amour et d’étranger tout court ?
Je suis très gêné par cette fin des choses, mais c’est finalement comme cela que les choses pourraient être interprétées. J’avoue que, finalement, ça m’a gêné, même si cela a fait plaisir aux nationalistes forcenés.
L’écrivain n’est-il pas en fin de compte, l’otage des lecteurs dont il porte les aspirations et rêves ?
Oui, cela arrive plus souvent qu’on ne le croie. En tout cas, dans mon cas, j’avoue que c’est ce qui m’est arrivé.
Est-on en droit de vous reprocher d’atterrir dans un univers marchand avec ce livre qui, malgré ses qualités stylistiques, ne parle que de rapports amoureux, thèmes propres à des auteurs comme Biton, Anzata et ceux d’Adoras ?
Non. J’avais envie d’écrire un livre gai, car mes livres antérieurs sont trop graves dans le ton et le contenu. Je suis resté essentiellement un tragédien. Ce livre a permis aux lecteurs de s’évader réellement et de découvrir de nombreux aspects plaisants de la vie, surtout les intrigues et autres maladies d’amour.
Apprend-on finalement, comme vous l’auriez aimé l’enseigner à votre fille Mokan Melody, l’amour et ses corollaires ? Comment ?
Non. Mais il ne faut se méprendre sur le texte de la dédicace : l’amour, pris dans le sens de rapports affectifs, sentimentaux et charnels entre deux personnes, est la chose qui instruit le plus l’homme dans sa recherche du bonheur et de compréhension des choses de la vie. Et j’y dis clairement que, puisqu’en tant que son père, je ne puis l’initier à ces choses, je l’en instruis par ce livre. Le livre reste un des moyens d’instruction et d’éducation les plus efficaces et les plus sérieux.
Dans votre sélection des nouvelles, n’avez-vous pas, en le rangeant dans ce livre, couru le risque de sous classer la nouvelle « … bluesy ! » cette musique de mots à l’encontre des maux de l’amour ?
Je pense que sur le plan stylistique, la première nouvelle, « Le ticket de la délivrance » n’a vraiment rien à envier à « … bluesy ! » Dans aucune de ces nouvelles, je n’ai, d’ailleurs, renoncé à peaufiner l’écriture : la poésie reste toujours l’enveloppe formelle de mes textes. Mais je reconnais que « … bluesy ! » est d’un niveau d’écriture relativement plus élevé que les autres.
Que pensez-vous prostituées ?
Ce sont des victimes des systèmes sociaux, notamment capitalistes qui réduisent finalement l’homme à une chose marchande, monnayable à souhait.
La dernière nouvelle me semble trop optimiste. Et croyez-vous que l’amour puisse trouver intérêt encore auprès des hommes de ce siècle si compétitif, capitaliste, obéissant servilement au Dieu argent ?
Oh si. L’amour continuera d’habiter le cœur des hommes à tous les âges de l’histoire de l’humanité. Il a instruit l’homme des cavernes, illuminé le cœur des brutes et des criminels, embelli l’âme des poètes et de tous les artistes au monde. Les femmes n’en finiront jamais d’attendre d’un homme qu’il leur susurre à l’oreille ‘’je t’aime’’. C’est le mot magique qui se conjugue à tous les temps, sur tous les modes et sous toutes les formes. Dans toutes les langues, existe la phrase ‘‘je t’aime’’. Ce ne sont pas tous les hommes ni toutes les femmes qui se laissent enlaidir l’âme par l’argent. Les grosses fortunes cachent le plus souvent des âmes et des cœurs en peine parce qu’en manque d’amour. Je connais beaucoup de gens riches qui envient les artistes, ces gens souvent pauvres, mais libres et tant désirés par les femmes pour leur grandeur d’âme et de coeur !
Votre recueil et ses personnages étant optimistes, l’amour ne serait-il pas, finalement, un grand rire ? Pourquoi ?
Oui. Un grand rire. Une immense et douce plaisanterie. C’est pourquoi, après les grandes ruptures et déchirures amoureuses, vient toujours le temps de la grande et véritable amitié. Car les vraies amours ne meurent jamais. Elles se transforment.
Interview réalisée par MIKE SAPIA
Je ne le pense pas. Je me réclame plutôt du théâtre, de la poésie et de l’essai qui déterminent mieux que tout autre genre, mon rapport aux lettres. L’essentiel de mon activité et de ma production intellectuelle tourne autour de ces trois genres. Ma posture actuelle en récit, notamment la nouvelle, fut une recommandation de mon maître Bernard Zadi qui m’a déconseillé de frapper à la porte des éditeurs avec la poésie et le théâtre, si je tenais à me faire un chemin en littérature. Et ceci, pour des raisons que vous savez, sans doute : ce ne sont pas des genres populaires, donc ils ne sont pas rentables. Zadi m’a donc conseillé de commencer par de courts récits afin d’intéresser les éditeurs et les lecteurs. C’est après cela que, selon ses conseils, je devais commencer à faire publier mes recueils de poèmes et mes pièces de théâtre. J’en compte au moins une dizaine qui ont, presque toutes, subi l’épreuve de la scène. Mais j’avoue que j’ai, depuis, pris goût à la nouvelle. J’en écris considérablement. Mon quatrième recueil de nouvelles est d’ailleurs bouclé. Mais je n’éprouve pas le besoin de le faire publier maintenant. J’ai des projets artistiques plus urgents et plus importants.
La fin que vous proposez pour la nouvelle « La grande correction », semble fonctionner comme un reproche à Aline Ka d’accorder trop d’importance au corps, à son intimité féminine notamment que vous exposez en déchéance. Que doit-on retenir ?
Non, mon héroïne ne fonctionne pas comme cela. C’est plutôt sa rivale, l’épouse de Georges Elogne son plus qu’amant, qui peut être suspectée d’être obsédée par les qualités plastiques d’une femme. En fait, quand elle découvre la nudité d’Aline Ka à l’issue de violence qu’elle a exercée sur cette dernière, elle se rend compte que cette rivale, maîtresse de son mari, et qu’elle redoutait tant car elle était la source des infortunes conjugales que vivait son foyer, eh bien, elle se rend compte que finalement, cette fameuse Aline Ka n’est qu’une femme comme toutes les autres. C’est le sens de ses paroles à la fin de la scène de la bastonnade qu’elle a administrée à Aline qu’elle a mise à poils : « C’est pour ça là que tu te laisses mourir ? Tu m’entendras ce soir, Georges ! » Une manière de dire que cette Aline n’a, au physique, rien de particulier qui puisse justifier que Georges se soit entiché
pour elle jusqu’à un point suicidaire.
Croyez-vous les femmes, ici l’épouse et la maîtresse de Georges, capables d’aborder avec autant de patience, un sujet qui fâche ?
Bien sûr. Ce sont, en réalité, des choses plus courantes que vous ne le croyez. Les rivaux et les rivales distingués sont capables de discuter froidement entre eux de l’objet de leurs convoitises réciproques. Mais j’avoue que ce sont des choses qui demandent un niveau d’éducation et de compréhension élevé des relations amoureuses et des choses de la vie.
La nouvelle « Pozo » porte en second titre « la piste du souvenir » ; c’est la suite de « Pozo là-bas » publiée en 2005 dans « L’embarras de Dieu ». Dans ce second volet, vous tuez le personnage d’Ademola. Pourquoi ?
Ce n’est pas de gaîté de cœur que je l’ai fait. De nombreux lecteurs ivoiriens ont été mécontents pour le fait que, dans ce récit, j’aie amené l’héroïne Marie-Josèph Kassy, une jolie ivoirienne, institutrice de son état affectée dans un village sans électricité, à coucher avec le personnage d’Ademola. Ce dernier est un vilain et sale commerçant d’origine étrangère. Ils ont trouvé que la scène de ces échanges charnels que je pense avoir superbement décrits, était inacceptable, à la limite anti patriotique ! Précisons que le texte a été publié en 2005, en pleine période de délire patriotique en Côte d’Ivoire. Et de nombreux lecteurs m’ont supplié de réparer cette ‘‘injustice’’. J’en avais ri, au départ ; puis, après, j’ai fini par réaliser que cela avait choqué plus de lecteurs que je ne le croyais. Pour apaiser le mécontentement de mon lectorat, j’ai donc fait la promesse d’écrire la
suite de cette histoire. Voilà comment j’en suis arrivé à tuer Ademola dans ce second épisode de Pozo.
Alors vous présentez Ademola comme un imposteur affectif, un intrus amoureux. Ne paye-t-il pas finalement pour son statut d’étranger aux lois de l’amour et d’étranger tout court ?
Je suis très gêné par cette fin des choses, mais c’est finalement comme cela que les choses pourraient être interprétées. J’avoue que, finalement, ça m’a gêné, même si cela a fait plaisir aux nationalistes forcenés.
L’écrivain n’est-il pas en fin de compte, l’otage des lecteurs dont il porte les aspirations et rêves ?
Oui, cela arrive plus souvent qu’on ne le croie. En tout cas, dans mon cas, j’avoue que c’est ce qui m’est arrivé.
Est-on en droit de vous reprocher d’atterrir dans un univers marchand avec ce livre qui, malgré ses qualités stylistiques, ne parle que de rapports amoureux, thèmes propres à des auteurs comme Biton, Anzata et ceux d’Adoras ?
Non. J’avais envie d’écrire un livre gai, car mes livres antérieurs sont trop graves dans le ton et le contenu. Je suis resté essentiellement un tragédien. Ce livre a permis aux lecteurs de s’évader réellement et de découvrir de nombreux aspects plaisants de la vie, surtout les intrigues et autres maladies d’amour.
Apprend-on finalement, comme vous l’auriez aimé l’enseigner à votre fille Mokan Melody, l’amour et ses corollaires ? Comment ?
Non. Mais il ne faut se méprendre sur le texte de la dédicace : l’amour, pris dans le sens de rapports affectifs, sentimentaux et charnels entre deux personnes, est la chose qui instruit le plus l’homme dans sa recherche du bonheur et de compréhension des choses de la vie. Et j’y dis clairement que, puisqu’en tant que son père, je ne puis l’initier à ces choses, je l’en instruis par ce livre. Le livre reste un des moyens d’instruction et d’éducation les plus efficaces et les plus sérieux.
Dans votre sélection des nouvelles, n’avez-vous pas, en le rangeant dans ce livre, couru le risque de sous classer la nouvelle « … bluesy ! » cette musique de mots à l’encontre des maux de l’amour ?
Je pense que sur le plan stylistique, la première nouvelle, « Le ticket de la délivrance » n’a vraiment rien à envier à « … bluesy ! » Dans aucune de ces nouvelles, je n’ai, d’ailleurs, renoncé à peaufiner l’écriture : la poésie reste toujours l’enveloppe formelle de mes textes. Mais je reconnais que « … bluesy ! » est d’un niveau d’écriture relativement plus élevé que les autres.
Que pensez-vous prostituées ?
Ce sont des victimes des systèmes sociaux, notamment capitalistes qui réduisent finalement l’homme à une chose marchande, monnayable à souhait.
La dernière nouvelle me semble trop optimiste. Et croyez-vous que l’amour puisse trouver intérêt encore auprès des hommes de ce siècle si compétitif, capitaliste, obéissant servilement au Dieu argent ?
Oh si. L’amour continuera d’habiter le cœur des hommes à tous les âges de l’histoire de l’humanité. Il a instruit l’homme des cavernes, illuminé le cœur des brutes et des criminels, embelli l’âme des poètes et de tous les artistes au monde. Les femmes n’en finiront jamais d’attendre d’un homme qu’il leur susurre à l’oreille ‘’je t’aime’’. C’est le mot magique qui se conjugue à tous les temps, sur tous les modes et sous toutes les formes. Dans toutes les langues, existe la phrase ‘‘je t’aime’’. Ce ne sont pas tous les hommes ni toutes les femmes qui se laissent enlaidir l’âme par l’argent. Les grosses fortunes cachent le plus souvent des âmes et des cœurs en peine parce qu’en manque d’amour. Je connais beaucoup de gens riches qui envient les artistes, ces gens souvent pauvres, mais libres et tant désirés par les femmes pour leur grandeur d’âme et de coeur !
Votre recueil et ses personnages étant optimistes, l’amour ne serait-il pas, finalement, un grand rire ? Pourquoi ?
Oui. Un grand rire. Une immense et douce plaisanterie. C’est pourquoi, après les grandes ruptures et déchirures amoureuses, vient toujours le temps de la grande et véritable amitié. Car les vraies amours ne meurent jamais. Elles se transforment.
Interview réalisée par MIKE SAPIA
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