Poignées de mains
Elle est amusante, la démocratie à l’ivoirienne. Tout se passe, presque, comme s’il était interdit de tenir un discours contraire à l’autre, même sans convaincre. Chez bon nombre d’acteurs de la vie politique ivoirienne, la « parole libérée » des pesanteurs du parti unique, le temps de l’unanimisme triomphant de façade, devrait fonctionner de nos jours comme hier : le Chef a dit. C’est ainsi, parce qu’il a dit. C’est mal comprendre ce qui fait l’essence de la démocratie : le discours pluriel, même à l’intérieur d’une famille politique, qui devrait s’accompagner d’un minimum de courtoisie, y reposer même dans l’affirmation des désaccords dont se nourrit la démocratie.
Dans un pays comme le nôtre qui n’est pas encore sorti des turbulences nées de nos crises de tous ordres, ce droit à ne pas être d’accord sur tout, à propos de tout, doit nourrir l’espérance façonnée dans le moule de nos différences non muettes. Et non prendre la forme d’un délit d’affirmer sa part de refus, de désaccord.
Les pugilats verbaux auxquels on assiste depuis deux semaines entre un député de la République et sa famille politique ; entre un président de parti et sa ligne dure, montrent bien que le chemin qui mène au droit à la différence est à tracer. Pour tous. Afin que la volonté commune de vivre ensemble, dans nos différences, prospère et liquide cette interrogation qui baigne le plus souvent le discours politique ambiant : « Qui est-il pour oser contredire, être en désaccord avec ?... » La réponse est : au nom du droit qu’a tout citoyen de se prononcer sur un sujet qui engage la vie de la Nation, de son parti. Dans la sincérité.
Dans ce pays, avec l’itinéraire désopilant des uns et des autres, changeant d’opinion comme de sous- corps, on se rend bien vite compte que nombreux sont ceux qui portent des habits de déguisement, selon le climat politique. A choisir entre ceux qui marchent masqués dans la République et ceux qui disent leur part de vérité, sans masque, n’est-ce pas qu’écouter les seconds est un salut pour notre jeune démocratie ? Assurément. Parce qu’il est interdit d’interdire la liberté de penser, de se tromper sincèrement, même de se dédire (« seuls les imbéciles ne changent pas ») sans que la démocratie en souffre.
La démocratie à laquelle aspirent les populations ivoiriennes, longtemps éprouvée par des années des blocs antagonistes qui ont plombé leur avenir, est celle débarrassée des intolérances de tous les bords. Il ne suffit pas de la chanter, il faut la vivre. Dans nos différences. Et dans la courtoisie.
Par Michel KOFFI
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