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vendredi 27 juin 2014
DOSSIER ALBINOS
Mœurs et mythes. Les albinos s’éveillent, les tabous tombent !
Depuis quelques années, en dépit de l’ostracisme dont ils sont l’objet, bon gré mal gré, les albinos affirment, par des actions d’éclat, leur pleine humanité, sur fond de promotion sociale.
Mais, cette quête, tirée vers le bas par une mentalité des plus rétrogrades, les expose à tous les dangers, sacrificiels, notamment, dans une Afrique, une Côte d’Ivoire, où la paupérisation se conjuguant à la soif de gloire et d’ascension sociale, en font des proies. Le tout alimenté par des chamans et autres «sorciers», n’ayant pour foi et loi que leur portefeuille.
En Tanzanie, au Burundi, au Kenya, au Cameroun, au Burkina Faso, au Mali, au Sénégal ou encore en Côte d’Ivoire, vivre dans la peau d’un albinos relève d’un véritable parcours du combattant. Ils sont très souvent victimes d’enlèvements, de rituels sacrificiels, du trafic de leurs organes au nom de stupides croyances selon lesquelles on peut s’enrichir en les sacrifiant. Pour ceux qui ont plus de chance, ce sont les marginalisations et les discriminations tendant à nier leur humanité qui se partagent leur quotidien.
Purs fantasmes
Et dans une telle situation, être une femme est doublement préjudiciable. L’Afrique est réputée pour sa réticence à envoyer la femme à l’école à cause de la seconde place dévolue à celle-ci dans la hiérarchie sociale. Et lorsqu’elle est albinos, c'est-à-dire « une femelle paria », alors ce n’est pas de chance. Elle est livrée à elle-même, exposée à toutes sortes de violences, proie facile des prédateurs sexuels et autres aventuriers pour qui avoir des rapports sexuels avec une albinos est une expérience exquise, selon bien des témoignages.
Au-delà du cauchemar, une vie de rêve…
Récemment, J.K., infographiste à Abidjan, s’offusquant d’une telle pratique, affirme être, a contrario, «naturellement tombé amoureux» d’une albinos. Avec qui il file le parfait amour depuis deux années.
Standardiste dans une entreprise de la place, il était plusieurs fois, lors de ses correspondances téléphoniques avec son client dans l’agence de communication qui l’emploie, sur N.G. Adorant son expression dépouillée de tout artifice, mais d’une courtoisie ineffable, il décide passer à l’acte. La rencontrer. Quelle ne fut sa surprise de croiser une coquette jeune dame de 32 ans. Diplômée en gestion commerciale, elle soutient avoir gardé sa virginité jusqu’à 30 ans. Soulignant, au passage que, depuis le cycle primaire, faisant fi des railleries et autres bizutages, elle a toujours mis un point d’honneur à soigner sa toilette et son look. Objet de nombreux fantasmes selon ceux mêmes qui lui ont toujours fait des avances, à l’en croire, elle s’était résolue à ne pas tomber dans les serres d’un «prédateur».
Sauf que, tous les prédateurs n’ont pas la même technique d’approche. En fait, J.K., lui, ne la savait pas albinos. Même lorsqu’il la croisa, il fut plus «foudroyé» par le cœur et l’esprit de celle qui deviendra sa dulcinée, que par un quelconque fantasme ; l’amour fera le reste. Aujourd’hui, ils sont les heureux parents d’une charmante fillette de 18 mois.
… Mais, S.o.s, des frères en danger !
D’après certaines études, relève le généticien Oswald Harper dans son rapport sur les dernières rencontres inter-universitaires de Brasilia, plus de 50% des albinos sont victimes du cancer de la peau, 50 % d’entre eux meurent avant l’âge de 50 ans. Tous les trois mois, un albinos meurt en Afrique. 90% sont analphabètes, et parmi ceux qui ont la chance d’aller à l’école, seul 1% franchit le primaire à cause, notamment, de leur myopie incorrigible. L’obtention d’un diplôme pour un albinos ne garantit pas l’accès à un emploi, car dans l’imagerie populaire sa seule présence au sein de l’effectif peut suffire à la faillite de l’entreprise qui l’emploie. Ils vivent pour la plus part dans des familles très pauvres et sont livrés à la mendicité.
L’heure de la mobilisation a sonné
Fort de tout ceci, des associations caritatives se sont organisées un peu partout sur le continent pour faire face aux nombreux problèmes dont sont victimes les albinos.
Depuis 2003, en Côte d’Ivoire, sous la houlette de son président Diabaté, l’OngLepa’ Ni Albinos (Pour l’insertion et la promotion sociales des albinos), entend promouvoir l’image sociale de ses membres.
La 1ère rencontre avec les membres du Bureau, il y a environ, 4 mois, à Fraternité Matin, nous donne les premières esquisses d’un reportage. En effet, un collègue, moins par préjugé, que par allégeance au charme d’une militante de l’Ong, lui demande son numéro. Il la rappelle le lendemain, puis le surlendemain…
Le président Diabaté est ravi que ce soit votre serviteur qui l’a reçu, en compagnie du directeur général, qui s’est épris de béguin pour sa collaboratrice d’étudiante, les jours suivants, ne fait que transmettre les salutations de celle-ci. Sa déception, ostensiblement, fut grande qui il eut appris que le courtisan n’était autre qu’un collègue qu’il ne pouvait même pas reconnaître.
Bref, loin de l’actualité des jours précédents et qui suivirent, ici et ailleurs en Afrique, les albinos de l’Ong, avec un visage véritablement et simplement humain, font tomber les tabous.
Mythes, mystères, ignorances Vs science
«Les blancs, et les nègres, et les rouges, et les Lapons, et les Samoyèdes, et les albinos ne viennent certainement pas du même sol». En opérant cette réflexion, Voltaire, philosophe des Lumières et intellectuel français de grand vol, dans Moeurs 3, ne faisait que se méprendre, comme la grande majorité de terriens, sur la nature des albinos. Se permettant, via son personnage, de se faire l’écho de ce que les Africains, eux-mêmes, se font de leurs congénères atteints de cette pathologie de la peau: « Quand il arrive à un nègre de faire l'amour à une personne de cette espèce blafarde [Albinos], il est tourné en ridicule». Et pourtant, il avait tort.
C‘est en 1958 que Fitzpatrick et son collègue montrent en utilisant la dopa réception de Bloch que les follicules pileux de l’homme albinos contiennent des mélanocytes sans activité tysosiniasique. La fréquence générale de l’albinisme est estimée à environ 1/17 000 dans le monde, contre 1/4000 dans cette région d’Afrique et d’Amérique latine. Ce ne sont pas seulement les humains qui sont frappés par cette absence ou ce handicap, soutient Dr Prince Igor Any-Grah, médecin.
Des représentations culturelles en Afrique
Les albinos sont souvent victimes de sacrifices humains. Génies des eaux, mi-homme, mi-dieu, tels sont les attributs que l’on prête dans certains pays d’Afrique, aux albinos. Ils sont souvent recherchés en fonction des ethnies, pour leur soi-disant pouvoirs bénéfiques ou maléfiques, ils sont souvent victimes de sacrifices humains. Il n’est pas rare en Afrique à la rubrique des faits divers de voir le meurtre d’un albinos.
Maman, «Yako !»
Encore une fois, comme c’est la coutume, sous nos tropiques, c’est la mère qui est responsable. On l’accuse d’un adultère, d’avoir fait l’amour pendant ses menstrues et comme sanction, elle accouchera d’un tel enfant. Qui n’est rien d’autre qu’une personne à part entière et qui mérite de jouir de la vie comme toute personne. Les albinos, selon les cultures sont des êtres qui apportent la chance, il n’est pas rare que pendant les élections que les leaders politiques cherchent à coucher avec une albinos vierge, de consacrer beaucoup d’intérêt aux albinos. Dans la simple vie courante, on leur offre des présents. Malheureusement il faut le dire et le dénoncer, les albinos dans nos cultures africaines, en général, sont réputés être plus des objets de sacrifices que des êtres humains.
Ils sont convoités pour leurs organes génitaux, leurs têtes et d’autres parties du corps. Il est vrai que ces comportements discriminatoires dans une société dite solidaire et du lien social où toute personne à sa « place » devient moins courante, mais il n’est pas rare aussi de voir un bébé albinos rejeté à la naissance.
La résistance au changement…
Atsé H. 28 ans, commercial, raconte: «Quand je suis né, mon père ne voulait pas de moi. Heureusement, le reste de ma famille l’a convaincu de me garder pensant que j’étais une bénédiction». Souvent perçus comme un mauvais présage, les albinos vivent à l’écart, reclus et certains ont même peur de sortir… de peur qu’on leur fasse du mal.
Hamed raconte son rapt manqué
C’est en tout cas, le cas, depuis peu, pour un jeune apprenti tailleur ivoirien, dont le cas a fait les choux gras de la presse. Et qui devant la justice, dans la localité de Toumodi (centre-sud) du pays.
Joint par téléphone, il raconte son calvaire. «Peux-tu te présenter ?», interpellons-le nous.
«Je m’appelle Sangaré Hamed. J’ai 17 ans et je suis apprenti-couturier depuis 6 mois maintenant. J’apprends la broderie auprès de mon patron Sylla Moussa. Avant, j’apprenais la menuiserie à la Rue Princesse. Mais j’ai laissé tomber, parce que la poudre de bois me fatiguait les yeux».
«Peux-tu nous expliquer cette supposée tentative d’enlèvement dont tu aurais été récemment victime à Toumodi?».
Il narre les faits: «Le mardi 3 juillet 2013, il y a deux individus d’un âge avancé qui sont venus me trouver au travail. Ils ont dit qu’il y a un Libanais qui m’attend en bordure de route pour me remettre quelque chose en guise de sacrifice. Je n’avais pas envie de partir. Mais après, je leur ai signifié qu’il fallait d’abord en parler à mon patron. C’est ainsi que celui de mes interlocuteurs de teint clair, appelé «TchêGbê» a fait part de leur démarche auprès de mon patron.
Il les a ramenés à moi en indiquant que j’étais suffisamment grand pour décider seul. Si, bien entendu, il s’agit d’un simple sacrifice. J’ai réfléchi et comme je ne pouvais m’opposer à l’entreprise d’individus âgés comme eux, j’ai finalement accepté de les suivre. Lorsque nous sommes arrivés sur la route, et qu’ils m’ont demandé de monter dans leur voiture, j’ai préféré leur tourner le dos et retourner à l’atelier. Le vieux «Tchê-Gbê» m’a encore suivi et a demandé à mon patron d’intervenir. Il a insisté pour que j’accepte de partir avec eux. C’est là que j’ai dit que je ne voulais plus prendre de sacrifice. Voilà ce qui s’est passé.
Ils m’ont parlé d’un Libanais qui devait m’offrir un cadeau en guise de sacrifice. Mais une fois à la voiture, je constate que c’est un Noir au volant, qui s’y trouve. Ce n’était plus clair. Après, quand mon patron est arrivé, avec son collègue, ils leur ont aussi demandé de monter dans leur 4x4 sans rien leur expliquer. C’est ainsi que mon patron a bloqué la voiture et fait appel à la population. Nous nous sommes tous retrouvés à la police».
Banga Asou, 29 ans, musicien (Apollo), résidant à Abobo, dans la même veine, se confie: «Quand j’étais encore tout petit, des gens venaient me donner des sacrifices. Mais depuis que je suis grand, personne n’a entrepris cette démarche auprès de moi. J’entends souvent dire que c’est nous qui sommes livrés en sacrifice. Surtout par des politiciens véreux qui nous traquent comme des proies rares. Et je pense que ce n’est pas normal. Nous avons droit aussi à la vie».
Sur le sujet des enlèvements et autres mauvais traitements par eux subis, le président de l’OngLepa’ Ni Albinos, lance un véritable cri du cœur: «Il faut que l’Etat nous protège, parce que les albinos sont des êtres humains au même titre que les autres. Il ne faut plus qu’on continue ainsi de nous faire du mal. A mes camarades albinos, je demande d’être vigilants et prudents pour ne pas se laisser tromper. Je leur dis aussi de travailler pour ne pas dépendre des dons et des sacrifices des autres. Dans la vie, il faut chercher et gagner son pain à la sueur de front».
De l’amour à partager
«Nous devons combler le handicap par l’amour et non le rejet et la mort les parents le font, la société doit les épauler et les gouvernants aussi». C’est ce que pense, un brin optimiste, Dr Alfred Babo, socio-anthropologue. Et, M. Flavien Kokon, communicateur, anciennement conseil à la Famille, la Femme et l’Enfant de souligner: «En Occident, certains handicaps se corrigent par la chirurgie réparatrice, celle-ci arrive petit à petit en Afrique, mais le rythme est lent et c’est la réclusion, en attendant, voire la mort».
Bedaci entre dans la danse
En Côte d’Ivoire, outre la première Ong citée, d’autres acteurs s’érigent en défenseurs de la cause de l’albinisme. C’est le cas d’une Ong dénommée Bien-être des Albinos de Cote d’Ivoire(Bedaci) qui a pris à bras le corps le problème de cette frange de la population. Avec son président, l’association qui est aussi une structure de prise en charge a bataillé dur pour faire obtenir aux albinos du pays le statut de handicapés, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années.
Il faut dire que la forte sacralisation de la culture africaine et l’ignorance des populations due à la sous-scolarisation est un véritable frein à l’intégration des personnes albinos au sein de la société.
Salif Kéita, Yellowman, Zéhi Sébastien et les autres…
Salif Kéita, né en 1949, star de la Word music et Malien ayant vécu une décennie en Côte d’Ivoire, célèbre albinos se souvenait, de son enfance malheureuse faite «d’injures, de menaces, de frustrations à cause de sa différence de peau, de sa différence avec les autres enfants…», lors d’un entretien qu’il nous accordé, en 2010.
Rebelote. La vedette de la malienne, au cours d'une conférence de presse, à l'hôtel Ibis Marcory d’Abidjan, en septembre 2011, avait annoncé qu'il porterait plainte à la Cour de justice de la Haye contre toutes les personnes qui maltraitent les albinos.
Il est à saluer parce qu’il est l’un des rares à porter à la sagacité planétaire, la situation des albinos en Afrique et dans le monde. Les associations, prennent donc, le relais à travers le monde. Les albinos sont à présent scolarisés, directeur général, enseignants, informaticiens, etc.
A l’instar de Zéhi Sébastien, anciennement Dg de La Poste de Côte d’Ivoire et président de la section handball et membre du comité directeur de l’Africa Sport d’Abidjan. Mais aussi, parmi les plus célèbres dans le monde, Brother Ali, rappeur américain, HermetoPascoal, musicien brésilien, Johnny Winter, né en 1944 et son frère Edgar Winter (1946), tous les deux guitaristes de blues, Blond-Blond, chanteur franco-algérien, Krondon, rappeur américain, membre de Strong Arm Steady, figurent en bonne place des stars albinos.
Parmi les plus jeunes, l’on peut citer: Cy Jung, écrivaine française née en 1963, Mohamed Faye, chanteur et musicien sénégalais né en 1967, Connie Chiu, mannequin chinoise née en 1969, SaïdouSow, artiste guinéen, mort d'une dermatose en mars 2009 (il avait une trentaine d'années). Sans compter avec la pépite française d’origine africaine, Nantenin Keita, née en 1984, championne du monde 200m et 400m, double médaillée française aux Jeux paralympiques d'été de 2008, Vivianne Forest, canadienne, médaillée aux Jeux paralympiques d’été 2000 et 2004 en Goal-ball, ainsi que d’hiver 2010 en ski alpin, Stephen Thompson, mannequin américain, Shaun Ross, mannequin afro-américain, né en 1991.
Bien des mélomanes en voudraient à FratMag, si Yellowman, chanteur de reggae et ancien Disc-jockey jamaïcain né en 1959, n’était pas cité.
L’exemple de la photo de mode au Sénégal
Le photographe Omar Victor Diop, basé à Dakar, s’est joint aux efforts de l’Association nationale des albinos du Sénégal, en offrant un shooting de mode à deux de ses membres, afin de sensibiliser le public sur la situation des jeunes albinos en Afrique.
L’objectif est de promouvoir l’estime de soi au sein des adolescents albinos, ainsi que la normalisation de leur situation au Sénégal et en Afrique subsaharienne.
Plusieurs fois rencontré dans les couloirs d’expositions, ici et ailleurs, Omar Victor Diop propose une démarche esthétique dépouillée, un peu naturaliste, mais toujours urbaine et enjouée avec ses modèles qui n’ont rien à envier aux autres à la mélanine surabondante.
Que retenir au plan épidémiologique
De l'éléphant blanc de Charlemagne au jeune Hamed, en passant par Salif Keita, cette anomalie génétique touche les êtres vivants au sens large, animaux et humains, plus souvent africains et sud-américains. Parfois recherchés pour leurs organes (considérés comme porte-bonheur), persécutés, victimes d'exclusion, les albinos, parce qu'ils sont visiblement différents sont l'objet d'attentions plus ou moins bien intentionnées... Des préjugés que les acquis, plus objectifs, de la science permettront peut-être un jour d'effacer.
Faute de mélanine protectrice, les albinos doivent impérativement se garder, yeux et peau, du soleil, avec des vêtements légers à manches longues (plutôt foncés, voire spécifiques, anti-UV), un chapeau à larges bords, et ne pas rester immobiles exposés (même avec une crème à très haute protection) aux heures solaires (ici élargies, de 10 à 18 heures).
Moyennant quelques précautions, l’espérance de vie des personnes atteintes d’albinisme est normale. En dehors des professions qui nécessitent une acuité visuelle importante, elles peuvent prétendre à un large choix d’orientation professionnelle. Il est donc fondamental d’offrir aux enfants atteints d’albinisme une scolarisation de qualité.
La Régionale / ADAM SHALOM
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