Douze ans après la guerre, les mutilations causées par la rébellion de Foday Sankoh, la Sierra Leone renaît. Comment tirer leçons des autres?
Dans moins d’un an, la
Côte d’Ivoire va affronter l’échéance la plus capitale de son histoire,
la présidentielle, après surtout les tristes périodes de 2010.
Effacera-t-elle les tristes évènements du coup d’Etat de décembre
1999 qui ont porté, pour la première fois, depuis son histoire, la
violence dans ce pays si paisible? (Il le faut); la rébellion de
septembre 2002, avec son cortège d’atrocités ? (il le faut, encore) ;
déchirera-t-elle les pages rouges du sang des frères et sœurs tombés,
pauvres innocents, lors de la crise post-électorale? Il le faut, enfin.
Pour la Côte d’Ivoire.
J’ai vu, comme un étranger de passage, pas tout (on ne voit pas tout
en une semaine) un peuple au travail, du moins, Freetown. Un vaste
chantier. Riche de promesses. Parce que la paix y est revenue. Mais
suffit-elle ? Oui et non.
Oui, parce qu’elle permet d’attirer des investisseurs sur ce petit paradis sur terre – les affaires n’aiment pas le bruit, surtout celui des bottes et les vociférations des peuples en furie –
et de remobiliser, comme un seul homme, toute la sueur des dos unis au
travail, l’énergie des fils du terroir pour la reconstruction nationale.
Et les signes sont là qui ne trompent guère le visiteur. Pour utiliser
une expression bien ivoirienne, « l’argent travaille » ; il va
circuler après, si le peuple sait être patient pour récolter les fruits
de cette embellie qui aurait pu être présente s’il n’y avait pas eu ces
années de guerre. Des années de gâchis. Et Freetown, je veux dire la
Sierra Leone, veut rattraper, nous semble-t-il, le temps perdu dans des
palabres inutiles. C’est un pays en chantier et au travail ! Comme en
Côte d’Ivoire.
Non, parce que la Sierra Leone, comme tous les peuples qui ont connu
la guerre, a certes fait le bilan des années de gâchis, mais elle
affronte son pire « monstre » que la guerre a conçu : les enfants de la
guerre qui ont, aujourd’hui, 25, 30 ans ou même plus et qui,
trivialement, « se cherchent ». A l’image des enfants des crises
ivoiriennes.
Ils sont dans la foule grouillante de Lumley, Spur, Loop, Campbell Street, Regent, Kissy, etc. Soif de vivre !
Désarmer ou démobiliser une bonne fois pour toutes leurs cœurs n’est
pas une mince affaire, c’est pire qu’un apostolat, un véritable parcours
du combattant ; les resocialiser non plus, n’est pas aisé. Encore moins
les caser quelque part où ils puissent se trouver une occupation saine,
surtout que les bancs de l’école n’ont jamais été, pour la plupart
d’entre eux, un espace fréquenté.
Sans instruction, éduqués et entraînés pour tuer, quelle(s) solution(s) s’offre(nt) à ces enfants qui ont grandi anormalement?
Ils sont dans les quartiers et rues où il y a peu de place pour la morale. « Ils
font presque tous les taxis-motos et n’ont de respect pour personne.
Mais une chose est sûre, en matière de sécurité, on n’a pas à se
plaindre, ici. », me rassure un compatriote ivoirien, Sylla Passekonan, traducteur-interprète Cedeao. Avant d’ajouter : « Mais, mais… »
Sans famille, dans le monde de la débrouillardise, ils sont plein de
générosité, mais, en même temps, plein de violence parce que la vie ne
leur a pas fait de cadeau. Ce sont, dans nos capitales, des bombes à
retardement, des énergies explosives qui constituent, hélas, la majorité
des populations.
« Man, war is no good… Have you finished fighting in Côte d’Ivoire?
» (La guerre n’est pas bonne. Aviez-vous fini de vous battre en Côte
d’Ivoire ?) Dans un anglais approximatif, le Krio, une créolisation de
l’anglais, John P… cherche à m’expliquer ce que je comprends…
difficilement. Le regard tourné vers l’océan, il semble réfléchir sur
l’immensité de la tâche née de ce gâchis qu’a été la guerre en Sierra
Leone, ce petit paradis sur terre. C’est tout cela qu’eux, tout comme
nous, devons gérer. Sans compter aussi les victimes de la guerre.
Déjà, en 2013, 11 ans après la guerre, lit-on dans un quotidien de la place, Premier News, un article intitulé « War Victim Cries For Reparation ». Alpha Bagali, rendu complètement aveugle par les rebelles du Ruf et ses deux filles, 12 et six ans, criaient leur famine.
Vers la fin de la guerre, en 2000, en effet, la Truth and Reconciliation Commission
(TRC), sous l’ex-Président Alhaji Dr. Ahmad Tejan Kabbah, a recommandé,
dans son rapport final, de dédommager les victimes de guerre. 11 ans
après, c’étaient, hélas, plus de 50% d’entre elles, selon le même
quotidien, qui n’avaient pas encore été dédommagés.
Gérer l’après-guerre est donc plus difficile que faire la guerre. Saurons-nous tirer leçons des autres ?
La Régionale / Michel Koffi
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