Le vocabulaire des ivoiriens s’est enrichi depuis l’accession du
président Alassane Ouattara au pouvoir en 2011, d’un nouveau mot :
émergence. Le chef de l’État nourrit l’ambitieux projet que d’aucuns
trouvent d’ailleurs utopique, de faire de la Côte d’Ivoire à l’orée
2020, un pays émergent. Mais au-delà du slogan, que renferme ce thème et
quelle appréhension en a l’ivoirien lambda ?
La Régionale / Touré Arouna
Le président de la
république, Alassane Dramane Ouattara jure presque la main sur le cœur
depuis qu’il a accédé au pouvoir qu’il fera de la Côte d’Ivoire un pays
émergent d’ici à 2020. Cette « obsession » a fait tilt dans les mœurs
ivoiriennes puisque « émergence » ou « émergent » sont désormais des
mots à la mode dans le vocabulaire des ivoiriens. Au-delà de l’effet de
mode, il est bon de se demander si l’ambition de l’économiste et
financier Alassane Ouattara est légitime ou réalisable tellement les
adversaires politiques du chef de l’État tournent son projet en dérision
quand ses fanatiques qui ne jurent que par lui sont persuadés qu’il y
parviendra. « Les pays émergents sont des pays dont le PIB (produit
intérieur brut) par habitant est inférieur à celui des pays développés,
mais qui connaissent une croissance économique rapide et dont le niveau
de vie ainsi que les structures économiques convergent vers ceux des
pays développés » peut-on lire dans le dictionnaire. Pour faire simple,
on va dire que qu’un pays émergent est un pays sous-développé mais qui
tend par ses performances économiques notamment vers le développement
dont il est à mi-chemin. Cela, contrairement au pays développé. Devenir
émergent suppose à priori gagner en niveau de vie grâce à l’amélioration
de ses agrégats économiques que sont essentiellement le taux de
croissance et le produit intérieur brut (PIB). La question est donc de
savoir si la Côte a véritablement les moyens d’atteindre en 6 ans
maintenant, ce cap que lui fixe son président. Etienne, tendant vers
la quarantaine, titulaire d’un BTS en gestion mais exerçant pour l’heure
dans le domaine juridique, n’y croit pas un traitre-mot. Modéré et aux
antipodes des militants ultra-nationalistes fervents de l’ancien
président Laurent Gbagbo, Etienne est convaincu que le projet du chef de l’État est une gageure, voire un leurre. « Vous êtes vous-même dans ce
pays et vous voyez les réalités du terrain, pensez-vous vous-même que
cela soit réalisable ? » nous rétorque-t-il avant de décocher une
flèche. « Les routes que le régime actuel est en train de construire, ce
n’est pas ce que l’on mange et de plus, pour la plupart, ce sont des
projets qui datent de l’ère Gbagbo » lâche-t-il au bord de
l’exaspération. Mlle Camara Bintou, moins de la trentaine et gérante
d’un magasin de pagnes du côté de Yopougon Toits-rouges, n’abonde pas
dans le même sens qu’Etienne. « Adophile » (fanatique du président
Alassane Ouattara), elle supplie presque de croire au projet de son
champion, persuadée qu’elle est que tout ce que ce dernier se transforme
en or. « Bravetchê va y arriver, croyez-moi, il sait de quoi il parle
et n’oubliez pas que qu’il est banquier, il sait de quoi il parle »
avance-t-elle souriante à souhait. Après s’être mis d’accord sur la
définition du PIB, à savoir que c’est la valeur totale de tous biens et
services dans un pays donné, au cours d’une année donnée, de la
croissance économique qui n’est rien d’autre que la variation positive
de la production de biens et services dans une économie sur une période
donnée, ainsi que du taux de croissance, autrement dit, le taux de
variation du PIB, écoutons Mamadou Koulibaly, économiste, leader de
parti politique et ex président de l’assemblée nationale. « Dans le
discours actuel, il revient très souvent que le gouvernement ivoirien
envisage de partir d’une économie traumatisée, pauvre et très endettée
pour arriver à ce qu’il appelle une économie émergente en 2020. Ce
discours est sans cesse repris par les différents membres gouvernement
au point que certains finissent par le croire … »peut-on lire dans un
article publié par AFRIQUE en2013. Et dans lequel il poursuit pour dire
que « nombreux sont ceux qui se posent la question de savoir comment
leur pays fera pour devenir une économie émergente en 2020, dans 8 ans
seulement ? ….elle qui est présentée à l’heure actuelle comme une
économie PPTE (pays pauvre très endetté) ? ». Autant donc dire que
l’opposant et professeur d’économie ne croit pas du tout à l’émergence
puis qu’il enfonce le clou en affirmant que « sans entrer dans les
subtilités, retenons qu’une économie PPTE du genre de la Côte d’Ivoire a
terminé l’année 2011 avec un taux de croissance de -5% du PIB alors
qu’une économie émergente comme celle de la Corée du sud, par exemple a
eu dans la même période un taux de croissance du PIB de 3, 9%. Si la
Côte d’Ivoire veut être émergente en 2020, cela veut dire qu’elle se
donne 8 ans pour atteindre les performances d’une économie comme celle
de la Crée du sud. En un mot, le président de LIDER estime que parler
d’émergence en 2020 relève de la propagande et il conclut sa
démonstration par « …toujours en se fondant sur l’hypothèse optimiste
d’un taux de croissance de 9% en Côte d’Ivoire pour l’année 2012, le
modèle mathématique de dynamique économique nous dit qu’il faudrait au
moins 20 ans pour être émergent. Soit en 2032. …Il est donc que la
société civile et les populations ivoiriennes restent en éveil et
demandent des comptes aux dirigeants du pays de manière à ne pas sombrer
dans l’attente béate d’un renouveau qui ne repose sur rien. L’émergence
ne se décrète pas politiquement, elle se construit économiquement »
tranche sentencieux le bouillant Mamadou Koulibaly. Qu’à cela ne tienne,
Bamouni Dj ne démord pas pour autant. Toute juste lettrée, elle a une
foi inébranlable en l’avenir avec Ado et pour elle il ne faut retenir
qu’une chose par émergence : la richesse qui s’annonce pour bientôt. A
la vérité, les mentalités doivent y être pour quelque chose pour
atteindre le niveau des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du
sud) dans l’émergence. Et les paroles de Venance Konan plaident dans ce
sens lorsqu’il fait allusion à l’impératif de la bonne gouvernance.
S’extasiant devant les infrastructures marocaines et citant un de ses
interlocuteurs lors d’un voyage au Maroc, il avance « il ne faut pas
rêver. Il y a les pays d’Afrique du nord, qui jouent peut-être dans la
même équipe que l’Afrique du Sud d’un côté, et nous de l’autre côté ….
Si nous voulons vraiment prendre le chemin de l’émergence, et si nous
voulons vraiment y arriver en 2020, nous avons intérêt à mettre le
paquet sur l’éducation dès maintenant….il faudra comme on le fait au
Maroc (qui n’est pas encore émergent NDLR) que nous donnions envie aux
investisseurs de choisir notre pays plutôt qu’un autre… ».
La Régionale / Touré Arouna
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