Calixthe Beyala (écrivain franco-camerounaise)
« Nos hommes de Dieu sont paresseux »
Chacune de ses publications littéraires, de ses sorties suscite un intérêt. Nous l’avons rencontrée pour échanger autour de « Le Christ selon l’Afrique », son dernier roman de 265 pages sorti, depuis 5 semaines, des fabriques de chez Albin Michel.
Quel sens donner à l’illustration de votre livre qui est une œuvre d’art très coloriée ? Y êtes-vous pour quelque chose ou est-ce un choix d’éditeur ?
J’ai été surprise par la qualité intrinsèque de la couverture de ce livre ; le maquettiste a fait preuve de créativité pour la concevoir. Je l’ai félicité car c’est la même personne qui conçoit les couvertures de mes livres depuis plus de vingt ans. Là, il a fait du livre, un objet d’art agréable à regarder, à toucher, à offrir. Je n’ai rien à voir avec la couverture.
Le nom de votre héroïne est significatif. Boréale signifie aussi originaire ou située au nord. Est-ce un substantif choisi à dessein ?
Il y a aussi l’aurore Boréale ! Et dans le cas d’espèce, cette fille incarne l’avenir, le renouveau ; elle est l’odyssée d’une Afrique à naître ; elle est le début, le commencement d’une nouvelle culture, une ère nouvelle…
Boréale est peinte comme une anticonformiste, pas vraiment croyante. Quel est le degré de ressemblance avec vous?
Boréale croit en l’homme ; Boréale croit en la négritude qui est, selon elle, la lutte du Noir face à lui-même. La négritude, un combat solitaire. Boréale est juste sceptique face aux prophètes autoproclamés qui pullulent en Afrique, ces escrocs qui ont le mot Dieu à la bouche sans en avoir la conscience suprême. Je crois en Dieu.
L’Afrique a-t-elle finalement une façon particulière d’appréhender le Christ ? Si oui laquelle ?
Chaque être humain a une façon particulière d’appréhender le Christ ou la notion Christique à travers un rapport intime, personnel. Et l’Afrique d’autant plus que la notion du Dieu unique est africaine, qu’elle prend racine dans l’Egypte antique avec Amon Ré.
De façon générale, quel regard portez-vous justement, sur cette appropriation africaine des religions venues d’ailleurs ?
La chrétienté vient d’Afrique (Les coptes d’Egypte) le catholicisme romain, non ! Ce dernier est une adaptation de la chrétienté originelle africaine aux traditions romaines. Donc, avant de parler des religions venues d’ailleurs, il faudrait restituer l’histoire et beaucoup ne la connaissent pas.
Un auteur ivoirien, Tiburce Koffi, y voit, à travers son ouvrage « Le mal être spirituel des Noirs » l’origine de nos problèmes. Croire en un Dieu qui se proclame d’Israël et non de Yaoundé ou d’Abidjan, serait la source de nos malheurs. Je voudrais recueillir votre avis.
Le problème n’est pas la croyance, ni la spiritualité, mais l’aliénation religieuse qui sous-tend le catholicisme. La spiritualité transcende les peuples. La religion a, quant à elle, une dimension géopolitique. Il conviendrait de reprendre la Bible, de la réinterpréter et de la restituer dans son contexte originel et tout ira bien.
A qui incombe cette tâche ?
A nos hommes de Dieu. Mais ils sont beaucoup trop paresseux, ces hommes de Dieu pour réaliser ce travail.
Le livre foisonne d’expressions néologiques telles «Mendioter», «Couchailler», « Funérailles Rolls-Royce », « des obsèques Lamborghini ». Etes-vous lassée du français classique ou exprimez-vous votre liberté linguistique et syntaxique
Lefrançais classique ? Mais il est mort depuis belle lurette ! Ce qui m’intéresse et me passionne aujourd’hui dans la langue française, c’est son élasticité, cette façon de me permettre de la travailler, de la réadapter à mes désirs, à mes fantasmes… C’est un matériau brut que je malaxe, que je façonne et j’en sors à chaque fois les mains torturées de l’avoir tant tordu !
Vous semblez éprouver du plaisir à extirper le Français du français.
Oui ! Et c’est fantastique d’inventer des mots, de jouer avec les phrases, de les faire s’entrechoquer ! C’est simplement magique.
La chanson, la musique occupe, dans votre livre, une place de choix. Qu’est-ce qui a motivé cette option ?
La musique est en soi, un personnage du livre. La musique est la forme la plus élevée de la pensée humaine, le son préféré de Dieu. D’où sa présence abondante dans le livre qui est entrecoupé de chansons.
Dans maints passages, vous présentez les Africains, les Camerounais précisément, comme des personnes avides de sexe, d’alcool, naïves et insouciantes. N’est-ce pas quelque peu caricatural et réducteur?
Là, c’est plutôt vous qui êtes réducteur non ? Je ne parle pas des Camerounais dans l’ensemble mais de certains Camerounais. Je ne parle pas des Africains mais de certains Africains. Jamais de globalisation.
Le mot nègre est récurrent dans ce livre. Quelle est la charge dont il est affecté ? Pourquoi l’avoir substitué au mot ‘‘noir’’ ?
Le mot nègre est noble ; il désigne un peuple, une culture, une civilisation. Le mot noir est une couleur et pourrait désigner n’importe quoi d’autre ; même une poubelle noire, par exemple.
Qu’est-ce exactement qu’une nègre blanche ?
Une Bounty à l’envers ?
Dans « Le Christ selon l’Afrique », vous faites allusion à la Côte d’Ivoire et la Libye. Quel rapport entretenez-vous avec ces deux pays ?
J’aime ces deux pays et espère pour eux paix et prospérité. Que ces deux pays retrouvent la paix sans laquelle il ne saurait y avoir développement.
Vos livres dérangent depuis « C’est le Soleil qui m’a brûlée » en 1987. Dire la vérité sans gangs semble vous réussir ?
On risque peu en disant la vérité. On y gagne toujours.
D’avoir tant de succès à chaque sortie de livre ne vous met-il pas la pression en fin de compte de la part des éditeurs ?
Non, justement ! Mon éditeur sait que je suis étrange, que toute pression aura l’effet inverse, à savoir me mettre dans la situation de refuser d’écrire. Je suis libre, et j’écris ce que je ressens, et quand je le ressens… C’est mon éditeur qui m’accompagne, pas l’inverse !
Quels sont vos rapports avec Albin Michel et comment vous situez-vous par rapport à Amélie Nothomb qui, depuis 20 ans, donne du relief à cette maison ?
Chez Albin, nous sommes une famille et chacun joue sa partition pour que les choses aillent au mieux. Nous sommes vraiment une famille.
Cela fait près de trente ans que vous vivez à l’hexagone, mais vous osez écrire avec réalisme un livre sur la société camerounaise. Comment parvenez-vous à vous être crédible en dépit de la distance ?
Je vis au Cameroun la moitié de l’année sans que personne ne s’en aperçoive. J’y suis souvent et dans mon village où j’ai hérité des terres de mes ancêtres que je travaille par ailleurs. Je cultive des produits vivriers avec mes cousins.
Au Salon du livre de Paris, vous dédicaciez à deux pas de Michel Drucker, ‘‘L’homme qui vous offrait le ciel’’. Quelle est la nature de vos rapports désormais avec votre ex ?
Aucun souci. Absolument pas de souci. Tout va bien.
Vous ne voulez plus entendre parler de politique, me semble-t-il. Pourquoi ?
Qui vous a dit que je ne voulais plus entendre parler de politique ?
C’est ce que vous m’avez laissé entendre quand je voulais vous interviewer lors de notre première rencontre.
Non, pas du tout. J’étais en pleine dédicace de mon livre, je voulais donc et je veux toujours d’ailleurs juste préserver ce qui me reste de neurones à faire des choses intéressantes. La politique en fait partie.
Dites-nous, vous qui avez obtenu divers prix littéraires (Afrique noire, François Mauriac, Académie Française, Unicef), quelles importance et valeur doit-on accorder aux prix. Ecrit-on pour avoir des prix ?
On écrit d’abord pour exprimer nos émotions, nos sentirs… Pas pour les prix. Tant mieux si on en gagne ! Et c’est tant mieux encore quand on n’en gagne pas… L’important, c’est d’exprimer cette passion, là au creux du ventre… L’important, finalement, c’est que vous aimez cet instant de partage à travers un livre
Votre mot de fin…
Quel mot ? Il n’y a jamais de fin mais un éternel recommencement.
Interview réalisée à Paris
La Régionale/ Sapia Mike
« Nos hommes de Dieu sont paresseux »
Chacune de ses publications littéraires, de ses sorties suscite un intérêt. Nous l’avons rencontrée pour échanger autour de « Le Christ selon l’Afrique », son dernier roman de 265 pages sorti, depuis 5 semaines, des fabriques de chez Albin Michel.
Quel sens donner à l’illustration de votre livre qui est une œuvre d’art très coloriée ? Y êtes-vous pour quelque chose ou est-ce un choix d’éditeur ?
J’ai été surprise par la qualité intrinsèque de la couverture de ce livre ; le maquettiste a fait preuve de créativité pour la concevoir. Je l’ai félicité car c’est la même personne qui conçoit les couvertures de mes livres depuis plus de vingt ans. Là, il a fait du livre, un objet d’art agréable à regarder, à toucher, à offrir. Je n’ai rien à voir avec la couverture.
Le nom de votre héroïne est significatif. Boréale signifie aussi originaire ou située au nord. Est-ce un substantif choisi à dessein ?
Il y a aussi l’aurore Boréale ! Et dans le cas d’espèce, cette fille incarne l’avenir, le renouveau ; elle est l’odyssée d’une Afrique à naître ; elle est le début, le commencement d’une nouvelle culture, une ère nouvelle…
Boréale est peinte comme une anticonformiste, pas vraiment croyante. Quel est le degré de ressemblance avec vous?
Boréale croit en l’homme ; Boréale croit en la négritude qui est, selon elle, la lutte du Noir face à lui-même. La négritude, un combat solitaire. Boréale est juste sceptique face aux prophètes autoproclamés qui pullulent en Afrique, ces escrocs qui ont le mot Dieu à la bouche sans en avoir la conscience suprême. Je crois en Dieu.
L’Afrique a-t-elle finalement une façon particulière d’appréhender le Christ ? Si oui laquelle ?
Chaque être humain a une façon particulière d’appréhender le Christ ou la notion Christique à travers un rapport intime, personnel. Et l’Afrique d’autant plus que la notion du Dieu unique est africaine, qu’elle prend racine dans l’Egypte antique avec Amon Ré.
De façon générale, quel regard portez-vous justement, sur cette appropriation africaine des religions venues d’ailleurs ?
La chrétienté vient d’Afrique (Les coptes d’Egypte) le catholicisme romain, non ! Ce dernier est une adaptation de la chrétienté originelle africaine aux traditions romaines. Donc, avant de parler des religions venues d’ailleurs, il faudrait restituer l’histoire et beaucoup ne la connaissent pas.
Un auteur ivoirien, Tiburce Koffi, y voit, à travers son ouvrage « Le mal être spirituel des Noirs » l’origine de nos problèmes. Croire en un Dieu qui se proclame d’Israël et non de Yaoundé ou d’Abidjan, serait la source de nos malheurs. Je voudrais recueillir votre avis.
Le problème n’est pas la croyance, ni la spiritualité, mais l’aliénation religieuse qui sous-tend le catholicisme. La spiritualité transcende les peuples. La religion a, quant à elle, une dimension géopolitique. Il conviendrait de reprendre la Bible, de la réinterpréter et de la restituer dans son contexte originel et tout ira bien.
A qui incombe cette tâche ?
A nos hommes de Dieu. Mais ils sont beaucoup trop paresseux, ces hommes de Dieu pour réaliser ce travail.
Le livre foisonne d’expressions néologiques telles «Mendioter», «Couchailler», « Funérailles Rolls-Royce », « des obsèques Lamborghini ». Etes-vous lassée du français classique ou exprimez-vous votre liberté linguistique et syntaxique
Lefrançais classique ? Mais il est mort depuis belle lurette ! Ce qui m’intéresse et me passionne aujourd’hui dans la langue française, c’est son élasticité, cette façon de me permettre de la travailler, de la réadapter à mes désirs, à mes fantasmes… C’est un matériau brut que je malaxe, que je façonne et j’en sors à chaque fois les mains torturées de l’avoir tant tordu !
Vous semblez éprouver du plaisir à extirper le Français du français.
Oui ! Et c’est fantastique d’inventer des mots, de jouer avec les phrases, de les faire s’entrechoquer ! C’est simplement magique.
La chanson, la musique occupe, dans votre livre, une place de choix. Qu’est-ce qui a motivé cette option ?
La musique est en soi, un personnage du livre. La musique est la forme la plus élevée de la pensée humaine, le son préféré de Dieu. D’où sa présence abondante dans le livre qui est entrecoupé de chansons.
Dans maints passages, vous présentez les Africains, les Camerounais précisément, comme des personnes avides de sexe, d’alcool, naïves et insouciantes. N’est-ce pas quelque peu caricatural et réducteur?
Là, c’est plutôt vous qui êtes réducteur non ? Je ne parle pas des Camerounais dans l’ensemble mais de certains Camerounais. Je ne parle pas des Africains mais de certains Africains. Jamais de globalisation.
Le mot nègre est récurrent dans ce livre. Quelle est la charge dont il est affecté ? Pourquoi l’avoir substitué au mot ‘‘noir’’ ?
Le mot nègre est noble ; il désigne un peuple, une culture, une civilisation. Le mot noir est une couleur et pourrait désigner n’importe quoi d’autre ; même une poubelle noire, par exemple.
Qu’est-ce exactement qu’une nègre blanche ?
Une Bounty à l’envers ?
Dans « Le Christ selon l’Afrique », vous faites allusion à la Côte d’Ivoire et la Libye. Quel rapport entretenez-vous avec ces deux pays ?
J’aime ces deux pays et espère pour eux paix et prospérité. Que ces deux pays retrouvent la paix sans laquelle il ne saurait y avoir développement.
Vos livres dérangent depuis « C’est le Soleil qui m’a brûlée » en 1987. Dire la vérité sans gangs semble vous réussir ?
On risque peu en disant la vérité. On y gagne toujours.
D’avoir tant de succès à chaque sortie de livre ne vous met-il pas la pression en fin de compte de la part des éditeurs ?
Non, justement ! Mon éditeur sait que je suis étrange, que toute pression aura l’effet inverse, à savoir me mettre dans la situation de refuser d’écrire. Je suis libre, et j’écris ce que je ressens, et quand je le ressens… C’est mon éditeur qui m’accompagne, pas l’inverse !
Quels sont vos rapports avec Albin Michel et comment vous situez-vous par rapport à Amélie Nothomb qui, depuis 20 ans, donne du relief à cette maison ?
Chez Albin, nous sommes une famille et chacun joue sa partition pour que les choses aillent au mieux. Nous sommes vraiment une famille.
Cela fait près de trente ans que vous vivez à l’hexagone, mais vous osez écrire avec réalisme un livre sur la société camerounaise. Comment parvenez-vous à vous être crédible en dépit de la distance ?
Je vis au Cameroun la moitié de l’année sans que personne ne s’en aperçoive. J’y suis souvent et dans mon village où j’ai hérité des terres de mes ancêtres que je travaille par ailleurs. Je cultive des produits vivriers avec mes cousins.
Au Salon du livre de Paris, vous dédicaciez à deux pas de Michel Drucker, ‘‘L’homme qui vous offrait le ciel’’. Quelle est la nature de vos rapports désormais avec votre ex ?
Aucun souci. Absolument pas de souci. Tout va bien.
Vous ne voulez plus entendre parler de politique, me semble-t-il. Pourquoi ?
Qui vous a dit que je ne voulais plus entendre parler de politique ?
C’est ce que vous m’avez laissé entendre quand je voulais vous interviewer lors de notre première rencontre.
Non, pas du tout. J’étais en pleine dédicace de mon livre, je voulais donc et je veux toujours d’ailleurs juste préserver ce qui me reste de neurones à faire des choses intéressantes. La politique en fait partie.
Dites-nous, vous qui avez obtenu divers prix littéraires (Afrique noire, François Mauriac, Académie Française, Unicef), quelles importance et valeur doit-on accorder aux prix. Ecrit-on pour avoir des prix ?
On écrit d’abord pour exprimer nos émotions, nos sentirs… Pas pour les prix. Tant mieux si on en gagne ! Et c’est tant mieux encore quand on n’en gagne pas… L’important, c’est d’exprimer cette passion, là au creux du ventre… L’important, finalement, c’est que vous aimez cet instant de partage à travers un livre
Votre mot de fin…
Quel mot ? Il n’y a jamais de fin mais un éternel recommencement.
Interview réalisée à Paris
La Régionale/ Sapia Mike
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